C’est moi sur la photo ? Illustration : Danièle Bour

C’est moi sur la photo ?

Jamais nous n’avons autant pris nos enfants en photo ! Comment vivent-ils cela ? Y a-t-il des risques à trop les exposer ? Réponses du psychanalyste Serge Tisseron.

À partir de quel âge se reconnaît-il en photo ?

Vers 2 ans (plus ou moins), l‘enfant commence par se reconnaître dans un miroir. L’opération est simple : l’image est mobile, ce sont ses propres gestes qui lui donnent des indices.

Puis, il sait s’identifier sur une photo ; c’est moins évident parce que la photo fixe une expression qu’il ne (re)connaît peut-être pas. Sur le miroir, l’image renvoyée est mobile, mais inversée ; sur une photo, c’est une image figée. Cela peut lui faire croire qu’il s’agit de deux personnes différentes, surtout si son visage est un peu asymétrique.

Pour l’aider à s’y retrouver, il est important que les parents pointent l’image de l’enfant sur la photo et le nomment : « C’est toi sur la photo ! »

Se voir en photo, qu’est-ce que ça lui fait ?

C’est important car cela aide l’enfant à construire une représentation unifiée de lui-même. Jusque-là, il se voyait plutôt morceau par morceau : ses mains, ses pieds, son visage… Sur une photo, surtout prise en pied, il voit qu’il est fait d’un seul tenant, qu’il est un.
Les photos sur lesquelles il apparaît avec d’autres personnes l’aident à comprendre qu’il est différent des autres et qu’il est unique ; une petite personne à part entière. Puis, c’est lui qui se pointe du doigt sur l’image en disant « moi » ou son prénom.

Le prendre en photo, est-ce que ça peut l’aider à avoir confiance en lui ?

C’est moi sur la photo ? - Cahier parents Popi janvier 2014 - Petit Ours BrunCela ne me semble pas le meilleur moyen, mieux vaut le valoriser au quotidien, pour des choses qu’il réussit. Si l’on prend trop souvent un enfant en photo, il risque de penser que ses parents le préfèrent en image plutôt que dans la réalité.

Afficher son enfant partout sur les murs ou sur ses écrans d’ordinateur et de téléphone n’est pas non plus une excellente idée. En effet, on le fait alors grandir avec l’idée que l’image prime, et que l’on ne peut exister sans exposer son image. Il peut alors se constituer en petit cabotin et plus tard, ne rechercher que des interlocuteurs qui l’apprécieront pour son apparence, et non pour ce qu’il est vraiment. C’est plutôt ennuyeux.

Comment éviter que son image prime sur ce qu’il est ?

Les parents peuvent par exemple décider de réfréner leur enthousiasme photographique et réserver les photos aux occasions : son anniversaire, une fête de famille, les vacances, un spectacle à la crèche… Et au lieu d’afficher la photo de l’enfant partout, ils doivent plutôt mettre en valeur ses productions (dessins, peintures). Le message est alors clair : « Nous t’aimons pour ce que tu fais, pas pour ton image. »

Les parents devraient-ils lui demander l’autorisation de le photographier et l’exposer ?

Avant 4 ans, il est un peu petit pour comprendre. Mais c’est un réflexe à adopter dès que possible pour lui montrer que c’est lui qui décide de ce qu’il veut faire de son image.

Et dès qu’il est en âge de s’en servir, on peut lui donner un petit appareil photo afin qu’il fasse des photos de ses parents : une réciprocité s’installera alors, l’enfant ne subira plus les pleins pouvoirs photographiques de ses parents !

Propos de Serge Tisseron recueillis par Isabelle Gravillon, supplément “Parents”, Popi, janvier 2014

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